Le gardien HLM fantassin de la politique de la ville…

A oublier aujourd’hui encore comme elles l’a été pendant des dizaines d’années, la nécessité de la vertu obscure du travail quotidien d’équipes solidaires au service du respect des habitants, les organismes d’HLM et les pouvoirs publics risqueraient de sérieuses désillusions. Sans cette vertu, même avec un urbanisme plus humain, les quartiers rénovés et les opérations nouvelles pourraient bien demain connaître les mêmes difficultés que les quartiers d’aujourd’hui.

Quel est aujourd’hui le premier devoir d’un organisme d’HLM propriétaire et gestionnaire d’un patrimoine?

La tentation est grande en cette période de crise du logement de mettre au premier rang des obligations la construction de logements nouveaux.

C’est d’ailleurs cette ardente obligation de construire qui a structuré la représentation que les organismes d’HLM se sont fait d’eux-mêmes au moins des années 50 au début des années 90. Ils ne se pensaient que comme organismes constructeurs et ce n’est que tardivement à la charnière du siècle que la dimension « gestion » a commencé à émerger.

Et pourtant le devoir de construire ne doit venir en réalité que derrière l’obligation de bien gérer.

Qu’il n’y ait pas d’ambiguïté non plus, sur la nature de l’obligation gestionnaire : il faut bien sûr veiller aux comptes, encaisser les loyers, ne pas les dilapider dans des dépenses inconsidérées, tenter de dégager les excédents permettant d’autofinancer en partie le développement. Mais nous ne sommes là que le domaine de la contrainte et non dans celui de l’obligation morale.

Le vrai défi c’est celui de la gestion qu’on appelle de « proximité ».

Comment faire en sorte que les clients, les locataires, les usagers bénéficient de la meilleure qualité de services associés au logement ? Que la vie dans les immeubles soit supportable, que les ascenseurs fonctionnent, que les cages d’escalier, les paliers soient éclairés et propres, que les halls soient accueillants avec des boîtes aux lettres en état de recevoir normalement le courrier et des portes qui ferment, que les poubelles soient sorties, nettoyées puis rentrées, que les encombrants soient évacués…..

J’en oublie certainement de ces petits riens de la vie de tous les jours, dont mon lecteur des beaux quartiers ne doit pas comprendre l’importance que j’y attache tant pour lui tout ceci ne pose pas problème et fonctionne sans qu’il y pense.

Il existe heureusement des patrimoines HLM dans lesquels le traitement correct de ces enjeux est aussi simple que dans une résidence bourgeoise et où il suffit d’une démarche qualité bien conduite, d’un centre d’appel judicieusement organisé pour que toutes ces questions trouvent des réponses satisfaisantes.

Malheureusement dans beaucoup de résidences HLM, l’enjeu est presque hors de portée.

Peu importe où se situe le début de la spirale et qui est responsable de quoi au regard de l’histoire. Ce débat là n’a pas d’intérêt pour les habitants des immeubles dont ascenseurs sentent l’urine et sont chroniquement en panne les contraignant à emprunter des escaliers pas ou mal éclairés décorés de manière plus ou moins denses de tags obscènes ou agressifs, après être entrés par une porte quasi blindée et néanmoins hors d’usage dans des halls tristes aux boites aux lettres défoncées.

Comment ne pas sentir le contraste cruel, insupportable, entre les intérieurs modestes parfois pauvres mais la plupart du temps obsessionnellement propres des logements des habitants de ces immeubles et la laideur, la saleté, la puanteur qui les agresse dès leur porte passée ? Comment ne pas comprendre que c’est d’abord là que se joue l’évidence de l’exclusion.

Tous les discours sur la relégation, sur l’inhumanité de certains urbanismes et de certaines architectures sont bien sûrs utiles, comme sont aussi indispensables tous les projets de renouvellement urbain initiés depuis quelques années pour y remédier.

Mais ces discours et ces projets ambitieux ne doivent pas faire oublier que c’est sur les paliers, dans les cages d’escaliers, dans les halls, dans les locaux poubelles que se joue d’abord le combat pour la dignité et contre la révolte ou le désespoir.

Comment relever le défi impossible de la gestion de proximité dans des univers où tout semble se déliter ?

Je suis d’abord sûr des pratiques conduisant à un échec inéluctable :

  • Laisser à l’abandon dans les immeubles un personnel de proximité méprisé en butte à son propre désespoir quand ce n’est pas à la violence des autres.
  • Préférer pour les dirigeants la lecture de tableaux de bords sécurisants aux promenades déstabilisantes dans les cages d’escaliers ou l’obscurité des caves.
  • Ne valoriser que les résultats financiers et les chiffres de mise en chantier au lieu de célébrer la fragile victoire de la reconquête d’un hall.

Gagner la bataille de la proximité, aucun dirigeant quel que soit son génie ne peut le faire seul. C’est le personnel de proximité qui seul peut avoir une action quotidienne, modeste, obstinée qui jour après jour permet de transformer peu à peu le réel jusqu’à le rendre acceptable et pourquoi pas agréable.

Le personnel de proximité des organismes d’HLM, se sont le plus souvent des hommes et des femmes simples, aux origines modestes, aux parcours parfois aléatoires, souvent aujourd’hui issus des quartiers où ils travaillent et ressemblant comme des frères à leurs habitants. Bien que beaucoup d’entre eux, justement au regard de leur parcours, considèrent leur tâche comme une vraie mission, ils ne peuvent pourtant rien s’ils vont à la bataille isolés et sans soutien.

Dans ces combats improbables dans lesquels on ne peut se lancer, sans être armés de la conviction qu’il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer, la principale responsabilité du dirigeant d’organisme d’HLM est de fédérer, organiser, soutenir les équipes de proximité, de faire en sorte que tous les « administratifs » à tous les niveaux, siège, directions, agences aient conscience que leur travail n’a de sens qu’en ce qu’ils apportent leur appui à leurs collègues de la proximité.

Et quand ainsi toute l’énergie regroupée de l’entreprise HLM se concentre dans cet objectif premier, le miracle est qu’alors cela fonctionne et que peu à peu la vie devient plus belle dans les quartiers.