Inventer de nouvelles identités locales prenant acte de l’urbanisation.

Il faut tout d’abord affirmer haut et fort que cette réforme ne se fait pas contre la décentralisation. C’est bien au contraire parce que la décentralisation a fait depuis trente la preuve de son dynamisme, de ses capacités d’initiative et d’imagination que se pose aujourd’hui la question d’organiser le cadre des institutions locales dans lesquelles elle s’exerce. S’il n’y avait pas eu la décentralisation et sa réussite, personne ne s’occuperait de réformer les collectivités territoriales.

Est il d’ailleurs totalement hasardeux d’avancer que c’est parce que la décentralisation est arrivée plus tard dans notre pays, que nous avons un retard certain sur la plupart de nos voisins sur la réforme des institutions locales ? La fonction qui précède l’organe ?

Admettons donc que c’est le succès même de la décentralisation qui nous amène à enfin tenter de prendre acte d’une évidence majeure dont on parle peu :

La façon dont les individus occupent notre territoire s’est fondamentalement et rapidement modifiée.

En France, comme dans le reste du monde l’urbanisation commencée au milieu du dix neuvième siècle, s’est accélérée au cours des soixante dernières années. Il ne s’agit pas d’un phénomène anecdotique mais de l’une des quelques évolutions majeures qui structurent l’évolution de notre société.

Réformer les collectivités territoriales ne saurait être un enjeu politicien, c’est adapter, enfin, notre façon d’administrer l’espace et les territoires aux mutations brutales qu’ils ont connu depuis un demi-siècle.

Pendant des siècles, la relative stabilité dans la répartition des populations sur le territoire a permis à la paroisse, à la commune, de demeurer un échelon pertinent de la vie locale. Le tsunami de l’urbanisation a emporté les fondements de cette évidence sans pour autant remettre en cause notre attachement à la commune. Cet attachement a probablement valeur de refuge par la mémoire de la stabilité mythique qu’il porte, et cela d’autant plus que les mots qui aurait du être dits pour donner du sens aux réalités complexes d’aujourd’hui, pour rendre perceptible et acceptable un nouvel ordre de l’occupation de l’espace n’ont pas été énoncés. N’est ce pas pourtant le rôle des politiques que de rendre lisible le monde dans lequel nous vivons, de telle sorte que les citoyens le comprenant mieux, sortent de leurs peurs régressives et deviennent acteurs de ce monde ?

Comment comprendre, aimer, agir les villes d’aujourd’hui si notre imaginaire ne porte comme image rassurante que celle du clocher archaïque qui servit un jour à illustrer une campagne présidentielle avant d’ailleurs que le même Président ne donne comme enjeu à son deuxième septennat de réconcilier les Français avec la Ville. Enjeu bien vite oublié.

Et pourtant nous sommes de plus en plus nombreux à vivre dans des villes et les villes n’étant plus nombreuses, leur taille a augmenté, cette évolution quantitative entrainant une véritable mutation qualitative de ces villes. L’une de ces mutations est bien évidemment qu’elles ont explosé au-delà de leurs territoires originels et qu’elles s’étendent dorénavant sur plusieurs communes. C’est pour répondre à ces évolutions qu’ont été inventés les communautés d’agglomération et les communautés urbaines qui constituent une première ébauche de réponse à ce débordement des villes hors de leurs limites.

Certes il arrive que les jeux de pouvoir locaux aient dessiné les limites de ces communautés de manière inconséquente par rapport aux vraies réalités de l’urbanisation et on ne peut que se réjouir que le projet de loi prévoie une remise en ordre des territoires d’ici la fin 2010.

L’exercice est d’ailleurs redoutablement complexe puisqu’au-delà du périmètre d’urbanisation continue, la ville étend de plus en plus loin son influence sur la vie des villages parfois éloignés qui se développe en accueillant des populations dont la plupart des enjeux sont localisés dans la ville centre et sa périphérie immédiate. Quel est alors le bon périmètre pour les structures de gestion politique des agglomérations ?

Ne serait-il pas intéressant de définir la ville comme un territoire dont les habitants sont de fait interdépendants. Comme le territoire sur lequel les enjeux de logement, de commerce, de culture, de transport, d’emploi des uns et des autres sont interdépendants. Et aussitôt cet intuition d’une solidarité de fait entre les habitants de ce territoire fait surgir l’idée d’une citoyenneté locale partagée. Cette communauté d’enjeu est aujourd’hui masquée d’une part par l’existence des communes, d’autre part par la non élection au suffrage universel des organes des EPCI d’agglomération.

L’élection au suffrage universel des organes des agglomérations telles qu’elle est prévue dans le projet de loi est de ce point de vue un progrès essentiel : quelle meilleure manière de prendre conscience de l’existence d’une communauté de destin que de devoir choisir ensemble ceux qui vont avoir la charge de conduire cette communauté.

En ces temps où les questions d’identité sont présentes, comment ne pas souligner l’importance qu’il y a ce que les habitants des villes centres et ceux des banlieues, bourgeoises ou quartier sensibles, aient la conscience qu’ils partagent la même identité, qu’ils sont les uns et les autres citoyens avec la même légitimité d’une ville unique.

C’est dans cette perspective, qu’on ne peut que regretter que contrairement aux préconisations du rapport BALLADUR, les futures métropoles prévue dans le projet de loi ne soient pas de vraies collectivités locales. Oser cette révolution dans le champ de l’imaginaire collectif serait une belle façon de donner toute ses chances à l’émergence d’une vraie et forte identité et solidarité territoriale.